Chère Ukraine,
Permets-moi tout d'abord de te tutoyer. Tu ne me connais sans doute pas, mais moi, je te connais un petit peu, au-delà du registre strictement géographique. Je ne suis pas sûr que les raisons pour lesquelles j'ai conscience de ton existence te plaisent toutes. Cela étant dit, je suis là pour te parler franchement, sans rien te cacher.
J'ai d'abord fait ta connaissance à travers la réputation des filles de ton pays, qui ont été, pendant longtemps, les danseuses de cabaret les plus prisées dans le mien. La proportion de tes ressortissants de sexe féminin dans ce secteur d'activité a en effet atteint des sommets tels après la chute du mur de Berlin, que les blagues de mauvais goût et autres associations d'idées malsaines les concernant faisaient partie du folklore grivois de nos rue, dans les années 90. Il faut dire, d'une part, que l'argent a toujours bien circulé chez nous, et que nombre de mes compatriotes ne débordent pas d'imagination pour le dépenser. Il faut aussi admettre, d'autre part, que les créatures ukrainiennes qui s'exportaient dans nos cloaques possédaient, pour l'immense majorité d'entre elles, une beauté aussi rare qu'exotique, par rapport aux standards locaux. Je te précise tout de même que je n'en ai personnellement jamais profité, à part pour me rincer mon œil d'adolescent pubère en épiant l'arrivée des autocars qui déposaient les artistes sur leur lieu de travail, à la tombée de la nuit.
Je t'ai connu ensuite sous un autre angle, à travers les traits d'Andreï Chevtchenko, ta star du football à toi, dont j'admire jusqu'à aujourd'hui encore les faits d'armes comme les distinctions sur le plan sportif. Sa Vista devant le but adverse, la puissance de ses frappes ou encore son physique de beau gosse, étaient autant de qualités que j'associais inconsciemment à ton peuple et ton histoire, dont je ne connaissais encore pratiquement rien à l'époque où le monde du football gratifia ton champion d'un ballon d'or. C'était l'année qui marquait également le début de ta fameuse "révolution orange".
C'est d'ailleurs à l'occasion de cet évènement crucial que j'ai eu l'occasion de faire plus ample connaissance avec tes figures politiques et la problématique stratégique inhérente à ton territoire, pris en étau entre les grands acteurs des guerres mondiales, puis de la guerre froide, dont mon propre pays d'origine a été une victime collatérale. C'est à la même époque où j'ai fini par mémoriser que Sergueï Prokofiev ou Nikola Gogol faisaient partie de ton patrimoine culturel. Avant cette date, je considérais en effet les Slaves comme certains considèrent les Arabes, les Juifs, les Asiatiques ou les Africains : un grand ensemble homogène de gens qui se ressemblent et qui partagent une culture vaguement commune. Je te présente d'ailleurs mes excuses pour avoir vécu aussi longtemps dans le vide de mon ignorance à ton sujet, un vide que je suis encore loin d'avoir totalement comblé.
Si je décide de t'écrire aujourd'hui malgré ces lacunes, c'est pour te donner un conseil que je me sens obligé de te donner, vu les ressemblances qui existent entre le destin de mon pays et le tien. Ce conseil a été préalablement formulé par un ami et compatriote à moi dont je me permets de te retranscrire les paroles, en te laissant juge de leur degré de sagesse et de pertinence au regard de la situation critique dans laquelle tu te trouves aujourd'hui :
Chère Ukraine,
La guerre civile, ça ne marche pas.
Ne t'embarque pas là-dedans, c'est stupide.
Sincèrement,
Le Liban, avec ses quinze ans de guerre civile, ses 24 ans de reconstruction foireuse, ses 250,000 morts, ses 60 milliards de dettes et son armée d'accros aux antidépresseurs.
PS : La Syrie te passe le bonjour.
Voilà, en espérant que quelqu'un qui parle aussi bien le français que l'ukrainien te fasse passer le message et que tu gardes en tête que le procédé de déstabilisation qui t'a fait basculer dans le chaos a déjà été testé sur nous il y a près de 40 ans.
Puisse ta jeunesse être épargnée par les turpitudes de ses aînés.
Il ya des terreaux plus fertiles que d'autres.
Fyldar Jones,
Sexssayiste
Photos : 1) Danseurs ukrainiens au Billingham International Folklore festival de 2013. Source : Hartlepool Mail 2) Nayla DE FREIGE, Maria SAAD, Fadlallah DAGHER, L'Histoire illustrée du Liban, Larousse, 1987. Annotation illustrée en marge de la page 54. Notez que les éditions suivantes ont été modifiées, mais j'ignore si ce détail en particulier en a fait les frais.
Contexte : Pour un condensé du contexte global en Ukraine, voir la rubrique Lundi sur terre sur ce blog. Aux dernières nouvelles, le président déchu s'est réfugié en Russie, la partie est du pays, fortement russophile, semble se désolidariser de la prise de pouvoir de Kiev avec l'appui de Moscou, qui ne reconnaît pas le nouveau pouvoir et ne semble pas prêt de lâcher la Crimée. Ci-joint, un dossier complémentaire sur les appuis occidentaux des putschistes ukrainiens.
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RAPPEL
Lundi : Lundi sur terre
Rétrospective condensée de l'actualité de la semaine précédente.
Mercredi : Un Dessin par semaine
Caricature ou illustration.
Vendredi : Billet d'humeur
Certains billets seront peut-être un peu épicés.
Dimanche : Analyse sur actualité choisie ou relais vidéo de la semaine
Certaines analyses seront peut-être un peu austères.
Les différentes rubriques seront publiées aux jours indiqués entre midi
et 14: 00 heures (GMT+1). Vous serez informés en amont de toute
modification occasionnelle ou définitive.
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